Être francophone en Common Law : un effort souvent invisible
Étudier la common law en français et vivre dans un contexte francophone minoritaire comporte plusieurs avantages mais aussi beaucoup de défis. La manière dont les étudiants du programme de Common Law en français sont perçus au sein de la faculté diffère souvent de leur réalité.
Étudier la common law en français et vivre dans un contexte francophone minoritaire comporte plusieurs avantages mais aussi beaucoup de défis. La manière dont les étudiants du programme de Common Law en français sont perçus au sein de la faculté diffère souvent de leur réalité. Une avocate diplômée de ce programme à l’Université d’Ottawa m’a permis de voir les choses sous un autre angle. Être un étudiant francophone, c’est souvent faire le double du travail. Plusieurs lectures ne sont disponibles qu’en anglais, alors que les cours sont donnés en français. Il faut donc lire, réfléchir et rédiger ses notes dans deux langues distinctes, un exercice mental exigeant qui demande une grande rigueur.
Cette réalité est également reconnue au niveau institutionnel : selon Roderick Macdonald, le bilinguisme juridique au Canada exige une double rédaction et une compréhension des textes en deux langues, car aucune version ne peut être considérée comme simple traduction de l’autre. Le langage juridique est un point d’accès au savoir, mais jamais le savoir lui-même, ce qui illustre l’effort intellectuel supplémentaire nécessaire pour naviguer entre les deux systèmes linguistiques.
Pourtant, cette réalité demeure méconnue. Certains étudiants du programme de Common Law en anglais perçoivent à tort que les francophones ont un parcours plus facile, notamment parce qu’ils n’ont pas à passer le LSAT pour être admis. Cette idée fausse alimente parfois l’impression que les étudiants francophones doivent prouver davantage leur compétence ou leur légitimité. Par ailleurs, il est fréquent que plusieurs étudiants des programmes anglais ne soient pas informés de l’existence du programme en français. Cette méconnaissance entraîne une faible interaction entre les étudiants et limite les occasions de découvrir les particularités qui distinguent ces programmes ainsi que les opportunités de développements mutuels.
Cependant, être étudiant en Common Law en français offre aussi un avantage sur le marché du travail. Pour les emplois bilingues, ces étudiants se distinguent non seulement par leur capacité à parler les deux langues, mais aussi à exercer le droit dans les deux langues. Cela leur permet également de mettre leurs clients plus à l’aise, puisqu’ils peuvent s’exprimer dans la langue de leur choix. Dans un programme de droit aussi vaste que celui de l’Université d’Ottawa, il est facile d’ignorer la diversité d’expériences et de parcours qui coexistent.
Comme le souligne Roderick A. Macdonald dans son article Legal Bilingualism du journal de droit de McGill, cette compétence demande une compréhension des dogmes légales et des textes dnas les deux langues officielles rendant les juristes francophones particulièrement polyvalent et des travailleurs recherchés bien au-delà des emplois purement juridiques.
Pourtant, cette diversité est l’une des plus grandes forces de la faculté. Le programme de Common Law en français contribue à former des juristes capables d’exercer dans les deux langues officielles. C’est d’autant plus important en contexte minoritaire francophone, où les juristes d’expression française sont confrontés à des enjeux structurels et institutionnels qui affectent tant leur pratique professionnelle que l’accès à la justice pour les communautés qu’ils desservent. La disponibilité restreinte des services juridiques en français, combinée à un déficit de ressources documentaires et de formation continue adaptées, limite la pleine utilisation de la langue française dans le domaine juridique.
Connaître le droit dans une langue et n’en connaître que la moitié. Reconnaître les efforts supplémentaires que cela demande ne devrait pas diviser, mais plutôt inspirer un plus grand respect mutuel entre les étudiants. Après tout, la richesse du droit canadien repose justement sur cette coexistence du français et de l’anglais.