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L’importance du respect des droits linguistiques dans les procès criminels

Un manquement à l’obligation d’informer un accusé de son droit de choisir de subir son procès dans la langue de son choix crée une présomption de violation de ce droit fondamental. Dans R c. Tayo Tompouba, la Cour suprême du Canada a réaffirmé l’importance fondamentale des droits linguistiques dans le système judiciaire canadien et a souligné leur caractère essentiel dans le maintien des deux communautés linguistiques.

Women seated in witness box in courtroom looks ahead, uncertain, as judge looks on from bench quizzically

Un manquement à l’obligation d’informer un accusé de son droit de choisir de subir son procès dans la langue de son choix crée une présomption de violation de ce droit fondamental. Dans R c. Tayo Tompouba, la Cour suprême du Canada (CSC) a réaffirmé l’importance fondamentale des droits linguistiques dans le système judiciaire canadien et a souligné leur caractère essentiel dans le maintien des deux communautés linguistiques.

La question centrale était de savoir si le droit d’un accusé bilingue à un procès en français avait été violé lorsque le juge de première instance ne l’avait pas informé du droit de choisir le déroulement de son procès dans la langue de son choix. La majorité à la CSC a en effet trouvé que ce manquement constituait une erreur de droit justifiant l’intervention d’une cour d’appel.

Contexte factuel

M. Tompouba, un francophone résidant en Colombie-Britannique, a été accusé d’agression sexuelle et a subi son procès en anglais. Lors de sa première comparution, le juge ne l’a pas informé de son droit, en vertu de l’article 530(3) du Code criminel, de son choix de subir son procès en français. Ce n’est qu’après sa condamnation que M. Tompouba a soulevé la question en appel, affirmant qu’il aurait choisi un procès en français s’il avait été informé de ce choix.

La Cour d’appel avait estimé que la preuve était insuffisante pour conclure au caractère préjudiciable de cette erreur, mais la majorité de la CSC a accueilli l’appel, annulant sa condamnation et ordonnant un nouveau procès en français.

L’obligation judicaire d’aviser les accusés de leurs droits linguistiques

L’article 530(1) du Code criminel garantit à tout accusé le droit absolu à l’accès égal aux tribunaux dans la langue officielle de son choix. En vertu de l’article 530(3), le législateur a imposé aux juges une obligation d’aviser un accusé de son droit à un procès dans l’une ou l’autre des langues officielles lors de la première comparution. Cette obligation comporte deux volets :

Obligation d’information – Les juges doivent explicitement informer l’accusé qu’il a le droit de choisir la langue de son procès.

Obligation procédurale – Les juges doivent prendre les mesures nécessaires pour permettre à l’accusé d’exercer ce droit. Si un accusé semble être francophone ou bilingue, un juge ne peut pas présumer qu’il est conscient de son droit à un procès en français.

Le fait qu’un juge n’ait pas rempli cette obligation prive l’accusé d’une possibilité réelle d’exercer son droit linguistique et donc de son droit à un procès équitable.

Une erreur de droit justifiant l’intervention d’une cour d’appel

La Cour suprême a souligné que le non-respect de l’article 530(3) ne constitue pas une simple erreur procédurale, mais bien une erreur de droit qui peut justifier une intervention en appel.

Il existe dans le Code criminel deux dispositions réparatrices ayant pour objectif de permettre le rejet d’un appel lorsque l’erreur ou l’irrégularité démontrée par l’accusé ne lui a pas pour autant été préjudiciable. Une fois qu’il y a un manquement à l’article 530(3), la Couronne peut s’appuyer sur les dispositions réparatrices pour renverser la présomption de violation en démontrant que le manquement n’a pas causer de préjudice à l’accusé. S’il échoue, le préjudice devient trop important pour maintenir la condamnation.

Une présomption de violation qui renverse le fardeau de la preuve

Une fois que la présomption est déclenchée, il revient à la Couronne de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’accusé était au courant de ses droits et avait choisi volontairement de procéder dans l’autre langue officielle. Dans ce cas, la Couronne a échoué.

Un élément clé de cette décision est que la Cour a rejeté l’argument selon lequel les accusés bilingues comprennent automatiquement et renoncent implicitement à leur droit à un procès en français. Le fait d’être bilingue ne signifie pas qu’un accusé doit subir son procès en anglais s’il préfère le français. Ce droit fondamental protège les minorités linguistiques et garantit un accès égal à la justice.

Une déclaration forte sur l’importance des droits linguistiques

Le juge en chef Wagner, au nom de la majorité, a souligné que les droits linguistiques ne sont pas de simples formalités procédurales. Ils servent un objectif plus large : préserver le caractère bilingue du Canada et assurer un accès équitable à la justice. Ces droits visent spécifiquement à protéger les minorités de langue officielles et doivent être activement respectés par le système judiciaire.

Points clés

Cet arrêt constitue un rappel essentiel de l’importance des droits linguistiques dans les procédures criminelles. La CSC envoie un message clair aux juges de première instance : l’obligation d’informer un accusé de son droit à un procès dans la langue officielle de son choix n’est pas facultative – elle est impérative.

Pour les avocats et autres professionnels du droit, cette affaire rappelle que les droits linguistiques ne doivent jamais être présumés acquis. S’assurer qu’un accusé comprend ses droits et peut les exercer pleinement n’est pas une formalité administrative, mais une garantie fondamentale d’un procès équitable et d’accès égal à la justice.

Dans un pays bilingue comme le Canada, l’arrêt Tayo Tompouba est une affirmation puissante que les droits linguistiques demeurent au cœur du système judiciaire. Ceci constitue aussi un rappel des obligations déontologiques qu’ont les avocats d’informer leurs clients de leurs droits linguistiques.

Pour un survol des obligations déontologiques a cet égard, voir cet article d’autres membres du Comité des langues officielles de l’Association du Barreau de l’Ontario.